JUSTIN OUSSOU OU L’ART KANGOUROU

« Tout homme est multidimensionnel. Il suffit de cultiver un aspect des choses pour être ce qu’on est.» N’Goran Oussou Justin, infographiste, artiste peintre plus connu sous le nom de Oussou Justin traduit ainsi la passion qui l’a transporté en 1984 à l’Ecole des beaux Arts d’Abidjan logé dans l’enceinte de l’ex Institut National des Arts (INA) où il obtint le diplôme national des beaux arts, puis le diplôme national supérieur des Arts plastiques qui lui permet d’exercer à l’Université de Cocody en qualité d’enseignant d’Art graphique. Pourquoi ce brillant peintre s’oriente-t-il vers l’infographie au lieu de poursuivre son ascension picturale ? Tout simplement parce que l’artiste qui est par définition celui dont l’imagination transporte dans divers horizons, Justin Oussou n’ambitionnait pas se confiner dans un seul et même espace artistique mais entendait explorer un autre univers que celui de la peinture dont il détenait déjà tous les secrets. Secrets qui lui permettront de faire une entrée fulgurante dans la cour des grands lors des Grapholies de 1992.
Dès lors, le personnage jouira d’une renommée nationale, africaine et internationale avec la rencontre à l’exposition Héwolé 1994 à Lomé, du peintre Sénégalais Viye Diba, Premier prix Léopold Sédar Senghor de la biennale de Dakar édition 1998, précurseur de l’art kangourou, concept dont fera sien Justin Oussou.
Philosophie esthétique, l’art kangourou consiste à créer une intimité, une complicité, un contact permanent, une symbiose entre la matière qui est la peinture, le support qui est la toile et le matériau qui pour le cas d’espèce est soit une sculpture ou un masque ou des objets de récupération…pour d’autres, afin de réaliser un tout indissociable comme mère kangourou qui enfouit son petit dans sa poche ventrale. « La sculpture dans mes toiles n’est pas collée, elle est intégrée. Il y a une incrustation, une interpénétration entre les matières bois et toile. »
Figuratif, abstrait et semi figuratif, avec en moyenne 40 tableaux par an, peints aussi bien au couteau qu’au pinceau généralement à l’acrylique avec la technique mixte, collage de matériau ou huile sur toile, il est crédité de 28 expositions dont 13 personnelles (Abidjan Paris, Bruxelles, Pretoria et Israël) et 15 collectives (Abidjan, Lomé et Dakar). Ce qui lui vaut la confiance du Palais de la culture d’Abidjan Treichville. A savoir assurer la réalisation du décor de certaines créations théâtrales de Sidiki Bakaba, Directeur dudit Palais. Au nombre desquelles « l’Exil d’Alboury » et « Hèrèmakonon » la toute dernière création. Toutes choses qui ont fait germer dans l’esprit de ce père de cinq enfants la mise en place d’une académie des Arts qui n’accueille qu’un maximum de quatre auditeurs par année et ayant un pré requis. D’où la priorité accordée aux étudiants sortis des baux arts avec le désir de se perfectionner.
En 1999, à la faveur de la première transition militaire de l’histoire de la Côte d’Ivoire, Justin Oussou « abandonne » la peinture traditionnelle pour épouser l’ère de son temps. La transition militaire, la guerre de septembre 2002 et les événements de novembre 2004 sont passés au peigne fin à travers la peinture de l’artiste. 26 tableaux de 2, 15m sur 1, 70m sont réalisés pour immortaliser ces trois grandes étapes de la crise ivoirienne. Œuvres muséales, l’Etat de Côte d’Ivoire les a acquis pour les reverser au patrimoine national. « Naissance d’une nation » est l’ouvrage illustrateur de ces œuvres.
Une transition artistique venait ainsi de prendre fin pour faire place à l’art moderne loin des masques et des sculptures. Cette étape de la carrière artistique du peintre ouvre en effet la voix à une nouvelle ère, celle de l’art urbain dont la manifestation est sa récente exposition ouverte à Aniss’Art aux deux Plateaux depuis le 3 juillet dernier et qui a cours jusqu’au 3 Août 2008 avec pour thème « Tradition et modernité ». Cette exposition de 22 tableaux dont une quinzaine plonge l’observateur dans la tradition avec les masques, marque la rupture que l’artiste entend désormais prendre vis à vis de ses premiers tableaux, ses premiers amours, pour inaugurer l’art moderne dans un style classique emprunt d’une palette généralement plus claire et un graphisme lyrique au seuil de l’abstraction.
« C’est un peu de l’impressionnisme. On ne dessine pas on donne l’impression de la chose », affirme-t-il.
Préparant méthodiquement et respectueusement longtemps sa toile dans un scrupuleux souci d’application et de recherche de la qualité de la touche et de la couleur adaptée, afin de trouver la bonne surface, le bon grain et la bonne matière qui recevra ses recherches, les couleurs de Justin s’élaborent les unes après les autres, peaufinant ainsi ses toiles comme seul un illuminé peut le faire. Gratter, poncer, étaler, peindre et caresser sont les maîtres mots de son art car insiste-t-il, « un artiste doit être doté d’un savoir et d’un savoir-faire. »

Francis Yedan